Marrant, ce bloc. Un nid pour rats de bibliothèque, qui pullulent tout autant que ces bâtisses qui font leur avidité. L'endroit béni des érudits, le paradis des têtes-pensantes, à croire que ces gens aiment que chaque pan de mur leur rappelle qu'ils ne savent rien.


Et le plus marrant, dans tout ça, c'est qu'il se retrouve là.

Lui.

Chapeau bas. A croire qu'à fuir pendant une éternité, c'est aux portes de l'enfer qu'il se retrouve finalement nez-à-nez avec ses prédispositions. Belle justice, teintée d'un soupçon de mauvais goût. Mais Bell, ce n'est plus d'apprendre qu'il a envie, c'est qu'on arrête de le faire chier.

Il marche, trop lentement. Il shooterait bien dans une canette vide, mais ces rues sont trop propres. Trop parfaites. Clair que ça serait dommage de bousculer un environnement supra-optimal pour ceux qui sont en quête de branlette intellectuelle. Trop dommage. Mais un monde sans chaos, c'est comme un putain de milk shake sans fruits.

C'est fade.

Il marche, toujours trop lentement. Son regard se perd au sol, comme une âme en peine. Jusqu'à qu'une irrégularité vienne troubler son pèlerinage trop parfait. Il lève son regard fatigué, dévisage l'inconnu.

« Salut trou d'uc, tu sais pas par où c'est le bloc alpha ? On s'y retrouve pas dans ton bloc de merde. »

Un sourire. Un sourire se dessine sur le visage de Bell, qui se transforme d'ailleurs très vite en rictus. Un type, sorti de nulle part, lui rentre dedans et lui manque de respect. A croire qu'il y a un dieu à Goldanation, et qu'il l'a entendu.

« Je sais pas, bloc alpha c'est le coin des putes, non ? T'as demandé à ta mère ? »

Le type hausse un sourcil, il se rapproche. Il sent son haleine fétide, et ça, il aurait pu s'en passer. Des paumes, il est poussé en arrière, une fois, deux fois. A croire qu'il est maso, parce qu'il aime ce qui se passe.

Il secoue les mains, trop amusé. Il sort son téléphone, le brandit. « Hep, une seconde, je te prend en photo, j'aime bien avoir un avant-après, pour voir à quoi ressemblera ta g-.. »

Le mec lui arrache le smartphone des mains et détale. Non mais, vraiment ?

Bell le talonne. Pour le coup, il est pas content.

Il sprint, mais y'a trop de rues, trop de carrefours.

Finalement, il se bouffe quelqu'un qui passait là, se ramasse la gueule par terre. Un mec avec une jambe mécanique, sérieux.

Il hurle. « Putain, le dicaps, tu vois pas que tu gênes ?! » Il se relève d'un bond. « Je te jure, si je l'ai perdu, c'est toi qui va y passer. »

Hein.

L'hérétique ?




« Pardon ? » Il se rapproche, sauf qu'il capte que le type palpe un truc pas jojo. Alors, ouais : il se fige. Okay, il a bien son canif, mais il a aucune idée de la vitesse à laquelle l'autre dégaine. Et puis, y'a moyen qu'un des deux y passe dans l'opération. Pas ouf étant donné qu'il vient d'arriver.

Bref, une idée à la con.

« Ah ok, c'est cool la parodie de redneck. Mais sinon, tu veux pas lâcher ton arme de fiotte si t'as un truc à me dire ? »  

Histoire qu'il lui taille un joli sourire à ce con d'handicapé.

Il jette un œil par-delà l'épaule du beauf, discretos. Le gars s'est barré avec son téléphone, on peut dire qu'il a gagné sa journée. Là, pour le coup, il a bien envie de passer ses nerfs. Il bouge pas, une main dans la poche, prête à faire coupe-coupe, et le regard qui ne lâche plus son nouveau copain.

P'tit silence pesant, quand même.

Très vite cassé, d'ailleurs. L'autre n'a même pas le temps de répondre qu'une bande de connards rapplique dans leur direction. A leur tête, la tronche de junkie qui lui a chouré son téléphone. Cool, ça doit être le karma, il vient pour se faire enterrer ?

« C'est lui, avec son pote l'handicapé ! Allez les potes, on va bouffer du canard ! »

Du canard. C'est qui, le canard ? C'est lui ? C'est le redneck ? C'est quoi ces répliques de merde ?

Et depuis quand ils sont potes, d'ailleurs ?

Ouais, bon, ils sont un paquet, quand même. C'est pas un bon plan de rester.

« Cassos ! » Il se taille, et prend la première ruelle à droite.

Coup de feu. Ok cool, ce type est un taré.

Mais.. avec un peu de chance, il va se tuer sur les connards et ça sera la jolie fin de l'histoire ?



Ou pas, hein. Redneck le talonne comme un lévrier, c'en est même indécent de courir aussi vite avec une jambe de bois. Sauf qu'en bon ricain, le mec lui colle un coup d'épaule digne d'un offensive lineman et l'envoie valser dans une benne.

Un putain de benne.

Les gars passent, ils remarquent rien comme des connards de figurants. Bell sortirait bien pour planter le junkie et récupérer son smartphone, mais comme il tient à la vie, il suit les ordres et ferme bien sa gueule. Les secondes défilent, jusqu'à ce que la ruelle replonge dans le silence. Au moins, il visitera pas l'hosto' aujourd'hui.. ou les pompes funèbres, d'ailleurs.

Il lève le toit, dévisage son camarade d'infortune.

« Mec, t'aurais pu proposer avant de m'inviter chez toi. » Il déconne, mais c'était plutôt bien pensé. Il enjambe le tas d'ordures et constate l'état de ses fringues. Ça pue la mort, c'est horrible. « Mais good job, hein. T'en as pas l'air, mais ça déconne zéro dans ta tête. J'serais même prêt à parier que tu sais résoudre une équation. Chaud. »

Il ricane.

« Allez, sans rancunes, hein. C'est quoi ton blaze ? »